Page:Tolstoï - Les Rayons de l’aube.djvu/313

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— Et les autres boivent ? demandai-je.

— Oui, ils boivent, on apporte ici…

— Le travail est dur, il faut se donner des forces, repartit le plus âgé des ouvriers.

Ce dernier avait même un peu bu, mais c’était à peine sensible. Tout en causant avec les ouvriers j’allai regarder le déchargement.

En passant devant les longues files de marchandises, je m’approchai des ouvriers qui poussaient lentement un wagon chargé. — Le déplacement des wagons et l’enlèvement de la neige sont faits, comme je l’ai su plus tard des ouvriers, sans rémunération, c’est stipulé dans le contrat. — Ces ouvriers étaient maigres et déchirés, comme ceux avec lesquels je parlais. Quand ils eurent poussé le wagon jusqu’à sa place, ils s’arrêtèrent ; je m’approchai d’eux et leur demandai depuis quand ils étaient au travail et quand ils avaient dîné. Ils me répondirent qu’ils s’étaient mis au travail à sept heures, et qu’ils venaient de dîner à l’instant, car le travail pressait et on ne les avait pas laissés s’en aller.

— Et quand vous laissera-t-on partir ?

— Oh, ça dépend. On nous garde quelquefois jusqu’à dix heures, répondirent les ouvriers comme s’ils se vantaient.

Voyant l’intérêt que je prenais à leur sort, les ouvriers m’entourèrent, et, croyant sans doute que j’étais un chef, plusieurs ensemble