Page:Tolstoï - Ma religion.djvu/242

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la source de la nutrition devient un obstacle. Insensés seraient les efforts que l’on ferait pour maintenir ce lien et forcer l’enfant qui voit le jour à se nourrir par le cordon ombilical et non par la bouche et les poumons.

Mais la délivrance de l’enfant sorti du sein de sa mère n’est pas encore la vie. La vie du nouveau-né dépend du nouveau lien qui s’établit entre lui et sa mère pour sa nourriture.

C’est ce qui doit advenir de notre monde chrétien. La doctrine de Jésus a porté ce monde et lui a donné le jour. L’Église, un des organes de la doctrine de Jésus, a rempli son mandat et est devenue inutile, une entrave. Le monde ne peut pas être guidé par l’Église ; mais la délivrance du monde de la tutelle de l’Église n’est pas encore la vie. La vie commencera quand le monde aura la conscience de sa faiblesse et sentira la nécessité d’une nouvelle nourriture. Et c’est ce qui va s’accomplir dans notre monde chrétien : il doit crier, sentant son impuissance ; ce n’est que la conscience de son impuissance, la conscience de l’impossibilité de se nourrir comme auparavant, et de l’impossibilité de toute autre nourriture que le lait qui le poussera vers le sein de sa mère tout gonflé de lait.

Ce qui se passe avec notre monde européen si sûr de lui-même en apparence, si hardi, si décidé et dans son for intérieur si effrayé, si éperdu, ressemble à la situation d’un animal nouveau-né : il se tord, il se jette de tous côtés et pousse des cris ; il a l’air de se fâcher et ne peut comprendre ce qu’il doit faire. Il sent que la source de sa nourriture antérieure est tarie, mais il ne sait pas encore où chercher la nouvelle.