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RÉSURRECTION

leur réponse portât seulement sur une partie de telle ou telle question, ils devaient avoir soin de le spécifier ; au moment où il allait se lancer dans cette nouvelle explication, qui lui aurait pris encore un bon quart d’heure, il eut l’idée de regarder sa montre et s’aperçut avec épouvante qu’il était déjà trois heures moins cinq minutes. Aussi se hâta-t-il d’aborder le fond de l’affaire.

— Voici quel est le fond de l’affaire qui vous est soumise, — commença-t-il, et il se mit à répéter tout ce qui avait été dit déjà un grand nombre de fois et par les avocats, et par le substitut du procureur, et par les témoins.

Le président parlait, et, à ses deux côtés, les deux assesseurs écoutaient d’un air pénétré, en regardant à la dérobée leur montre, et en trouvant que le discours était un peu long, mais d’ailleurs excellent, c’est-à-dire tel qu’il devait être. C’était aussi le sentiment du substitut du procureur, et de tout le personnel du tribunal, et de la salle entière.

Le résumé fini, tout ce qu’il y avait à dire semblait dit. Mais le président ne pouvait se décider à cesser de parler, tant il avait de plaisir à écouter les intonations caressantes de sa voix : de sorte qu’il jugea à propos de dire encore aux jurés quelques mots sur l’importance du droit que la loi leur conférait, et sur la sagesse et sur la circonspection avec lesquelles ils devaient user de ce droit, — en user, non en abuser, — et sur ce que leur serment les liait. Il leur dit qu’ils étaient la conscience de la société, et que le secret de leurs délibérations devait être sacré, etc., etc.

Dès l’instant où le président avait commencé à parler, la Maslova avait fixé les yeux sur lui, comme si elle eût craint de perdre un seul mot de ce qu’il disait. Aussi Nekhludov put-il la considérer longuement, sans avoir à redouter de rencontrer son regard. Et il sentit se passer en lui ce qui se passe d’ordinaire en chacun de nous, quand nous revoyons, après des années, un visage qui autrefois nous a été familier. Il avait été