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RÉSURRECTION


IV


En sortant de chez le procureur, Nekhludov se rendit tout droit à la maison de détention préventive. Mais il n’y trouva point la Maslova. À la suite d’une effervescence politique qui s’était produite quatre mois auparavant, on avait dirigé vers d’autres prisons la plupart des détenus que contenait cet établissement, pour y installer à leur place une foule d’étudiants, d’étudiantes, d’employés et d’artisans. La Maslova avait été transférée dans la vieille prison du gouvernement. Nekhludov s’y fit aussitôt conduire.

Mais la vieille prison était située à l’autre extrémité de la ville, de sorte que Nekhludov n’y arriva qu’à la nuit tombante. Devant la porte, au moment où il s’apprêtait à entrer, un factionnaire l’arrêta. Le factionnaire sonna, la porte s’ouvrit, et un gardien sortit au-devant de Nekhludov. Il lut d’un bout à l’autre, très lentement, le papier que Nekhludov lui tendait, le relut, et finit par déclarer que, sans l’autorisation du directeur, il ne pouvait rien faire.

Nekhludov obtint du moins la permission de se rendre chez le directeur. Dans l’escalier qui conduisait à l’appartement de ce fonctionnaire, il entendit les sons étouffés d’un morceau de musique, joué sur un piano. Et, dès qu’une servante à la mine hargneuse, avec un bandeau sur un œil, lui eut ouvert la porte de l’appartement, ce fut comme si les sons du piano, s’échappant d’une chambre voisine, se fussent brusquement rués sur ses oreilles. C’était la plus rebattue des Rapsodies de Liszt, et fort bien jouée, mais avec cette singularité que la personne qui l’exécutait n’allait jamais que jusqu’à un certain endroit. Arrivée à cet endroit du morceau, elle s’arrêtait net et reprenait aussitôt le commencement, pour le jouer, de nouveau, jusqu’au même endroit.