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RÉSURRECTION

cela soit fini ! Je veux à présent racheter ma faute.

— Il n’y a rien à racheter : ce qui est fait est fait, et tout cela est fini ! — reprit-elle.

Et de nouveau elle leva les yeux sur Nekhludov, avec un vilain sourire plaintif et caressant.

La Maslova ne s’était pas attendue à revoir jamais Nekhludov, ni surtout à le revoir à ce moment et dans cet endroit. De là venait que, d’abord, sa vue l’avait blessée et lui avait remis en mémoire des choses auxquelles elle avait résolu de ne jamais songer. Elle s’était d’abord rappelé, en revoyant Nekhludov, le monde merveilleux de sentiments et de rêves que lui avait jadis révélé son premier amour ; elle s’était rappelé comment elle avait aimé cet homme, et comment il l’avait aimée, et puis aussi elle s’était rappelé la cruauté de son abandon, et la longue série d’humiliations et de souffrances qui avait suivi ces instants de bonheur. Et tous ces souvenirs lui avaient fait peine. Mais, n’ayant pas la force de s’y appesantir, elle avait eu recours, une fois de plus, à son procédé habituel : elle avait refoulé ces souvenirs douloureux dans les ténèbres de son âme.

En revoyant Nekhludov, elle l’avait d’abord identifié avec le jeune homme qu’elle avait jadis aimé ; mais, dès l’instant d’après, la chose lui étant pénible, elle y avait renoncé. Et, dès lors, ce monsieur élégamment vêtu, avec sa belle barbe bien taillée, n’avait plus été pour elle qu’un de ces « clients » qui, lorsqu’ils en avaient besoin, se servaient de créatures comme elle, et dont les créatures comme elle avaient le devoir de se servir autant qu’elles pouvaient. De là venait que maintenant elle le regardait avec ce sourire caressant. Elle se taisait, réfléchissant à la manière dont elle pourrait le mieux se servir de lui.

— Oui, — dit-elle, — tout cela est fini. Et voici qu’on m’a condamnée aux travaux forcés !

Ses lèvres frémirent, quand elle eut à prononcer ces terribles mots.

— Je savais, j’étais certain que vous n’étiez pas coupable ! — dit Nekhludov.