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RÉSURRECTION

de la salle. Le gardien s’était plaint, et l’inspecteur avait condamné Vassiliev au cachot.

Les cachots étaient une rangée de cellules noires, fermées du dehors à double verrou. Dans ces noires et froides cellules, il n’y avait ni lit, ni table, ni chaise, de sorte que le prisonnier devait s’asseoir et coucher sur le plancher sale, où, tout autour de lui, et même sur lui, couraient des rats si nombreux et si hardis que le prisonnier ne pouvait pas garder un morceau de pain sans qu’ils vinssent le lui dérober des mains.

Vassiliev avait déclaré qu’il n’irait pas au cachot, n’étant pas coupable. On l’avait emmené de force. Il s’était débattu, et deux de ses camarades l’avaient aidé à s’échapper des mains des gardiens. Ceux-ci avaient alors demandé du renfort, et appelé notamment un certain Petrov, renommé pour sa force. Les trois prisonniers rebelles avaient été repris et remis au cachot. Un rapport avait été aussitôt adressé au gouverneur, où l’affaire était présentée comme un commencement de révolte. En réponse, était venu du palais du gouverneur un ordre condamnant les deux principaux coupables, Vassiliev et un rôdeur nommé Népomniak, à recevoir chacun trente coups de verge. La bastonnade devait avoir lieu ce matin-là même, dans le parloir des femmes. Depuis la veille, toute la prison savait la nouvelle ; et dans les diverses salles, à l’heure du thé, il n’était pas question d’autre chose.

La Korableva, la Beauté, Fenitchka et la Maslova étaient assises dans leur coin favori et bavardaient, toutes quatre rouges et animées, ayant déjà bu de l’eau-de-vie qui, à présent, grâce à l’argent de la Maslova, ne cessait plus de couler pour elles. Elles buvaient leur thé et s’entretenaient de la bastonnade.

— Comme s’il s’était révolté ! — disait la Korableva, mordillant de ses fortes dents un morceau de sucre. — Il n’a fait que prendre la défense d’un camarade. On n’a plus le droit aujourd’hui de frapper pour cela !

— On dit qu’il est jeune, et très brave, — ajouta Fenitchka, tout en continuant de surveiller la théière.