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RÉSURRECTION

Et, de nouveau, il y eut un rire général.

— C’est entendu, mon cher, je ferai ce qu’il y aura à faire ! — reprit Maslinnikov en éteignant sa cigarette entre les gros doigts de sa main. — Et maintenant, hein ? si nous retournions auprès de ces dames ? Mais Nekhludov l’arrêta sur le seuil du salon :

— On m’a dit que, l’autre jour, dans la prison, deux détenus ont été punis du fouet. Est-ce vrai ?

Maslinnikov devint tout rouge.

— Ah ! on t’a dit cela ? Non, mon cher, décidément, il ne faut plus qu’on te laisse ainsi fourrer ton nez partout ! Tout cela, vois-tu, ce ne sont pas tes affaires. Allons, viens, Annette nous appelle, — dit-il.

Et, le prenant par le bras, il l’entraîna dans le salon.

Mais Nekhludov se dégagea de son étreinte ; sans parler à personne, sans paraître voir personne, il traversa le salon et descendit l’escalier.

— Qu’est-ce qu’il a ? — demanda Annette à son mari.

— Bah ! c’est un original, il a toujours été comme ça !

Quelqu’un se leva pour sortir, quelqu’un entra, et les papotages reprirent leurs cours. Tout le monde était ravi du sujet de conversation que venait de fournir, si à propos, la visite de Nekhludov. Grâce à elle, le jour de Mme Maslinnikov s’acheva brillamment.


Le lendemain, Nekhludov reçut du vice-gouverneur une lettre, écrite sur une épaisse feuille de papier glacé, avec un superbe en-tête armorié. Maslinnikov s’était informé de la possibilité pour la femme Maslov d’être transférée au service de l’infirmerie : suivant toute vraisemblance, la chose pouvait se faire. Au-dessus de la signature, ornée d’un paraphe des plus compliqués, Maslinnikov avait mis : « Ton vieux camarade, qui t’aime bien quand même. »

« Quel sot ! » ne put s’empêcher de se dire Nekhludov, écœuré du ton de condescendance de ce fâcheux « camarade ».