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RÉSURRECTION

Ah ! que d’ennuis elle me donne ! C’est elle qui tient le cabaret. Je la gronde, je la menace de la renvoyer si elle ne me paie pas ; mais, au dernier moment, c’est plus fort que moi, j’ai pitié d’elle. La pauvre vieille ! Et puis elle a de la marmaille avec elle ! — dit l’économe, souriant de cet éternel sourire qui exprimait à la fois son désir d’être aimable envers son maître et sa certitude que celui-ci devait, sur toute chose, être de son avis.

— Et où demeure-t-elle ? Je voudrais aller la voir.

— Au bout du village, de l’autre côté, la troisième maison avant la dernière. À votre gauche vous verrez une maison de briques ; tout de suite après, c’est son cabaret. Mais, du reste, si vous voulez, je vais vous conduire !

— Non, merci, je trouverai bien ! Et vous, pendant ce temps, je vous prierai de rassembler les paysans devant la maison, parce que j’ai à m’entendre avec eux au sujet des terres.


IV


Dans le sentier qui traversait la prairie, Nekhludov rencontra la même jeune paysanne qu’il avait vue, tout à l’heure, passer en courant devant la maison. Elle revenait du village et continuait à courir, remuant très vite ses gros pieds nus. Sa main gauche, pendante, rythmait sa course ; de sa main droite, elle tenait étroitement serré contre sa poitrine un petit coq rouge qui, balançant sa crête pourpre, et gardant une parfaite apparence de tranquillité, s’amusait tantôt à étendre, tantôt à ramener vers lui une de ses pattes noires. En s’approchant du barine, la jeune fille ralentit son pas ; quand il passa près d’elle, elle s’arrêta, le salua respectueusement ; et puis elle reprit sa course en compagnie de son coq.

Près du puits, Nekhludov dépassa une vieille femme qui marchait, toute courbée, portant un énorme seau d’eau. La vieille, dès qu’elle le vit, déposa son seau et lui fit, elle aussi, un profond salut.