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RÉSURRECTION

Les paysans ne répondirent pas.

S’étant convaincu qu’il ne pourrait en rien tirer ce soir-là, Nekhludov revint tristement au château.

— Voyez-vous, prince, — lui dit l’économe avec son sourire empressé, — jamais vous n’arriverez à vous entendre avec eux : cette espèce-là est têtue comme des mulets. Quand elle s’est mis quelque chose en tête, rien au monde ne la fera changer. Et puis ils ont toujours peur de tout. Et pourtant ils ne sont pas bêtes ! Il y en a même là-dedans qui, pour des moujiks, sont très intelligents, par exemple ce vieux qui criait si fort, le plus enragé de tous pour repousser vos offres ! Quand il vient au bureau, et que je l’invite à prendre du thé, il comprend tout, il parle de tout ; c’est un plaisir de causer avec lui. Mais, en assemblée, vous l’avez vu, il devient un autre homme ! Impossible de lui faire entrer une idée dans la cervelle.

— Mais alors ne pourrait-on pas faire venir ici quelques-uns d’entre eux, les plus intelligents ? — demanda Nekhludov. — Je leur expliquerais l’affaire en détail.

— Oui, cela se peut fort bien ! — répondit l’économe.

— Eh bien ! s’il vous plaît, faites-les venir demain matin.

— Rien de plus facile ! Demain matin ils seront ici.


VIII


Au sortir du bureau, Nekhludov se rendit dans la chambre qu’on lui avait préparée pour la nuit. Il y trouva un grand lit très haut, avec un édredon, deux oreillers, et une belle couverture de soie rouge piquée, évidemment prêtée par la femme de l’économe. Celui-ci, après avoir conduit Nekhludov dans la chambre, lui demanda s’il ne voudrait pas, avant de se coucher, finir ce qui restait du dîner. Nekhludov le remercia ; et l’économe le laissa seul, non sans s’être encore excusé de la pauvre façon dont il l’avait reçu.