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RÉSURRECTION

serons bien forcés d’en passer par où tu voudras ! — dit le vieillard édenté.

Cette interruption fit peine à Nekhludov, Mais il découvrit, à son grand contentement, qu’il n’était pas le seul à la déplorer.

— Pardon, oncle Sémène, laisse-le d’abord nous expliquer ses idées ! — dit de sa voix de basse le paysan au long nez, qui était décidément le sage de la troupe.

Nekhludov, rasséréné, commença à leur expliquer la doctrine d’Henry George.

— La terre n’est à personne. Elle n’est qu’à Dieu ! — fit-il.

— C’est bien cela ! Parfaitement ! Voilà qui est bien dit ! — déclarèrent plusieurs voix.

— Toute la terre doit être possédée en commun. Tous ont sur elle un droit égal. Mais il y a de bonne terre et de moins bonne. Et chacun voudrait avoir de la bonne. Comment faire pour égaliser les parts ? Il faut que celui qui exploite une bonne terre partage son surplus avec celui qui en exploite une moins bonne. Et comme c’est chose difficile de déterminer ceux qui doivent payer et à qui ils doivent payer, et comme, dans notre vie de maintenant, l’argent est indispensable, le parti le plus sage est de décider que tout homme qui exploite une terre paiera à la communauté, pour les besoins communs, en proportion de ce que vaut sa terre. De cette façon l’égalité se trouvera obtenue. Si quelqu’un veut exploiter une terre, il paiera plus pour une bonne terre, moins pour une moins bonne. Et s’il ne veut pas exploiter de terre, il ne paiera rien ; et ce sont ceux qui exploitent la terre qui paieront pour lui l’impôt nécessaire aux besoins communs.

— En voilà une forte tête, ce Georgeât ! — s’écria le vieillard représentatif à la barbe enroulée.

— Voilà qui est suivant la justice ! — déclara le poêlier en remuant les sourcils. — Celui qui a la meilleure terre, c’est lui qui paie le plus !

— Pourvu seulement que le prix soit dans nos moyens ! — dit l’homme au long nez.