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RÉSURRECTION

faites qu’un soldat, servant de valet de chambre au vieux général, vint remettre à celui-ci la carte de Nekhludov. Le général fronça encore davantage les sourcils, fort ennuyé d’être dérangé ; puis, après une minute de silence, il mit son lorgnon sur son nez, lut la carte en la tenant au bout de son bras étendu, se leva avec un douloureux effort, et se frotta lentement les reins et les jambes.

— Fais entrer dans mon cabinet !

— Que Votre Excellence ne s’inquiète pas ! Je finirai seul ! — dit l’artiste. — Je sens que le fluide revient !

— C’est cela, finissez seul ! — répondit le général, de son ton sévère ; et il passa dans son cabinet, traînant avec peine ses vieilles jambes enflées.

— Heureux de vous voir ! — dit-il à Nekhludov en lui désignant une chaise près de son bureau. — Il y a longtemps que vous êtes à Pétersbourg ?

Nekhludov répondit qu’il venait d’arriver.

— Et la princesse, votre mère, va toujours bien ?

— Ma mère est morte, Votre Excellence.

— Pardonnez-moi ! J’en suis bien désolé ! Savez-vous que j’ai servi avec votre défunt père ? Nous avons été des amis, des frères. Et vous, êtes-vous au service ?

— Non, pas en ce moment !

Le général hocha la tête en signe de désapprobation.

— J’ai une prière à vous adresser, général, — reprit Nekhludov.

— Ah ! très bien ! En quoi puis-je vous servir ?

— Si ma prière ne vous paraît pas recevable, je vous demanderai de m’excuser. Mais je me crois tenu à vous la présenter.

— Hé bien ! qu’est-ce que vous désirez ?

— Parmi les détenus confiés à votre garde, se trouve un certain Gourkevitch : or sa mère demande l’autorisation de le voir ; et, si cela est impossible, elle demande tout au moins l’autorisation de lui envoyer des livres.

Le général avait écouté cette requête sans donner le moindre signe de satisfaction ni de mécontentement : il s’était borné à pencher la tête, et à prendre l’attitude