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RÉSURRECTION

n’exigeant d’eux, en échange, que le paiement d’une rente destinée à leurs propres besoins généraux. Mais, à Kouzminskoïe il avait laissé les choses dans l’état où elles étaient quand il en était parti, c’est-à-dire que la rente de la terre devait y être payée à lui-même. Restait seulement, pour lui, à fixer les termes du paiement de cette rente, et à savoir quelle partie de la somme il devait garder pour lui, et quelle partie il devait remettre aux paysans. Là encore, Nekhludov se voyait forcé d’attendre, ignorant à combien de frais allait l’entraîner son voyage en Sibérie, dont l’hypothèse lui semblait tous les jours plus probable.

La troisième catégorie comprenait les secours aux prisonniers qui, sans cesse en plus grand nombre, s’adressaient à lui. Le nombre de ces malheureux était devenu si grand que Nekhludov avait une difficulté extrême à pouvoir s’occuper de chacun d’eux en particulier, sans compter que le peu de succès de ses premières démarches n’était pas pour l’encourager à les continuer. Et, de plus en plus, il se trouvait amené à se préoccuper d’une question plus générale qui, dès son entrée dans la prison, avait commencé à frapper son esprit.

Cette question était de savoir pourquoi et comment avait pu être créée l’étonnante institution qu’on appelait le tribunal criminel, et qui avait pour conséquences les prisons, les bagnes, les forteresses, le sacrifice de milliers d’êtres humains.

De ses relations personnelles avec les prisonniers, des renseignements fournis par l’avocat et par l’aumônier de la prison, et aussi de statistiques judiciaires patiemment consultées, Nekhludov avait tiré la conclusion que l’ensemble des détenus appelés « criminels » pouvait se repartir en cinq espèces d’hommes.

À la première espèce appartenaient des détenus tout à fait innocents, victimes d’erreurs judiciaires : tel le faux incendiaire Menchov, telle la Maslova, et d’autres. Au dire de l’aumônier, le nombre de ces hommes était assez restreint, environ sept pour cent ; mais leur situa-