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RÉSURRECTION

ce n’était pas que ces cinq hommes confiés à leurs soins fussent morts, tandis que la moindre précaution aurait suffi pour les maintenir en vie. De cela, ils ne s’inquiétaient point : ils s’inquiétaient d’avoir à remplir toutes les formalités exigées par les règlements en pareille circonstance, d’avoir à déposer ces morts entre les mains des autorités compétentes, d’avoir à mettre de côté les objets qui leur appartenaient, d’avoir à rayer leurs noms sur la liste des prisonniers conduits à Novgorod ; et tout cela leur causait de grands embarras, que l’écrasante chaleur rendait plus pénibles encore.

Ils couraient donc de droite et de gauche, l’air préoccupé, et ils avaient décidé de ne laisser personne s’approcher des wagons avant qu’ils eussent fini de tout mettre en règle. Nekhludov obtint cependant la permission de s’approcher : il l’obtint en donnant un rouble à l’un des sous-officiers du convoi, qui lui demanda seulement de ne pas rester trop longtemps, de façon à n’être pas vu par l’officier principal.

Le train était formé de dix-huit wagons, qui tous, à l’exception du wagon réservé aux officiers, étaient absolument bondés de prisonniers. En passant devant les fenêtres de ces wagons, Nekhludov entendit partout des bruits de chaînes, des querelles, des conversations mêlées de gros mots ; mais nulle part on ne parlait des compagnons tombés au cours du trajet. Les conversations et les querelles portaient surtout sur les sacs des prisonniers, sur le choix des places, sur la possibilité de trouver à boire.

Nekhludov eut la curiosité de jeter un coup d’œil à l’intérieur d’un des wagons. Il vit debout, dans le passage central, deux gardiens occupés à débarrasser les prisonniers de leurs menottes. À tour de rôle, les prisonniers tendaient leurs mains ; l’un des gardiens ouvrait, avec une clé, le cadenas qui retenait les menottes, l’autre ôtait les menottes et les emportait.

Après les wagons réservés aux hommes, Nekhludov arriva devant ceux où étaient enfermées les femmes.