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RÉSURRECTION

mains, regardait d’un air maussade tour à tour l’officier et son malheureux compagnon. L’officier, cependant, tout en continuant à vociférer des injures, répétait aux gardiens l’ordre d’emmener l’enfant et de mettre les menottes au père. Dans la foule, le murmure devenait sans cesse plus fort.

— On lui a laissé les mains libres depuis Tomsk ! — disait une voix enrouée aux derniers rangs. — Ce n’est pas un petit chien, c’est un enfant.

— La petite fille va périr ! — disait une autre voix. — Ce n’est pas dans la loi.

— Quoi ? Quoi ? — cria l’officier, se retournant comme si une bête l’avait mordu. — Je t’apprendrai, moi, à parler de la loi. Qui a parlé ? Est-ce toi ? Est-ce toi ?

— Tout le monde a parlé, parce que… — dit un prisonnier debout au premier rang.

— Quoi ?… Alors c’est toi ?

Et l’officier se mit à frapper devant lui, au hasard des coups.

— Ah ! vous vous révoltez ? Je vais vous montrer, moi, comment on se révolte. Je vous tuerai comme des chiens, et les chefs me remercieront d’avoir réglé votre compte ! Allons, qu’on emmène l’enfant !

La foule se tut. Un des gardiens saisit l’enfant, qui hurlait sans interruption ; un autre mit les menottes au prisonnier, qui, humblement, tendait sa main.

— Qu’on donne cette enfant à garder aux femmes ! — dit l’officier au gardien, fort embarrassé de l’encombrant fardeau.

La petite fille, le visage tout rouge sous ses larmes, se débattait furieusement, essayant de retirer ses mains du châle qui l’enveloppait. À ce moment, Marie Pavlovna traversa la foule et s’approcha de l’officier.

— Monsieur, — dit-elle, — si vous me le permettez, je porterai l’enfant.

— Qui es-tu, toi ? — demanda l’officier.

— Je suis de la section des condamnés politiques.

Le joli visage de Marie Pavlovna, avec ses yeux bleus