Page:Tolstoï - Résurrection, trad. Wyzewa, 1900.djvu/524

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dans une autre sphère, qu’il avait brusquement changé d’opinions : de libéral progressiste qu’il avait été jusque-là, il était devenu ardent révolutionnaire.

L’absence complète, en lui, des qualités morales et esthétiques qui produisent le doute et l’hésitation lui avait permis de prendre vite, dans le parti révolutionnaire, cette place de chef qu’il convoitait par-dessus toute chose. Dès qu’il avait arrêté une résolution, jamais il ne doutait, jamais il n’hésitait ; et, par suite, il avait toujours la certitude de ne pas se tromper. Tout lui paraissait simple, clair, incontestable. Et, avec l’étroitesse de ses vues, le fait est que toutes ses idées étaient simples et claires, car, comme il aimait à le répéter, on n’avait qu’à être logique pour discerner infailliblement le vrai du faux.

Sa confiance en lui-même était si grande que personne ne pouvait l’approcher sans subir sa domination ou sans être forcé de lui résister. Et, comme il avait affaire surtout à des jeunes gens, qui prenaient sa confiance en lui-même pour de la profondeur de pensée, la plupart de ses compagnons s’étaient soumis à sa domination, de sorte qu’il n’avait point tardé à obtenir une énorme popularité dans les cercles révolutionnaires.

Il prêchait la nécessité de préparer par tous les moyens une révolution qui devait lui permettre de s’emparer du pouvoir et de convoquer une Assemblée Constituante. Il avait déjà rédigé le programme de réformes qu’il dicterait à cette assemblée ; et il était pleinement convaincu que ce programme résoudrait définitivement toutes les questions, et que rien ne pourrait s’opposer à sa réalisation.

Ses compagnons le craignaient, ils estimaient sa hardiesse et sa décision ; mais ils ne l’aimaient pas. Et lui, de son côté, il n’aimait personne. Tout homme qui avait quelque qualité personnelle lui apparaissait comme un rival ; et volontiers, s’il l’avait pu, il aurait ôté aux autres hommes toutes leurs qualités, simplement pour les empêcher de détourner de son propre mérite l’attention publique. Il n’avait de complaisance que pour ceux qui