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CHAPITRE XXIX


Arrivé dans sa chambre, Nekhludov se mit à marcher de long en large, fiévreusement. Il avait l’impression que son affaire avec Katucha était finie, à jamais finie. À jamais il avait cessé d’être utile à Katucha. Et cette pensée le remplissait de tristesse et de honte. Mais il avait aussi l’impression que cette pensée n’avait plus désormais le droit de l’occuper, et qu’il avait maintenant à régler une autre affaire qui non seulement n’était pas finie, mais qui s’imposait à lui avec une force impérieuse.

Il se sentait en présence de quelque chose d’effroyablement mauvais, qu’il avait le devoir de détruire, et qu’il ne savait pas comment il pourrait détruire. C’était ce quelque chose de mauvais qui l’avait jadis perdu lui-même, qui avait perdu Katucha, et qui venait maintenant de perdre le cher et admirable Kriltzov, dormant, là-bas, avec son foulard bleu.

Et Nekhludov revoyait les centaines d’hommes parqués, dans un air empesté, par d’indifférents gouverneurs, procureurs, directeurs de prison. Il revoyait les regards irrités du petit vieillard bravant « les valets de l’Antéchrist ». Il revoyait, dans la chambre des morts, le beau visage de cire de Kriltzov. Tout cela, toute la vie qui l’entourait lui faisait l’effet d’un horrible cauchemar. Et de nouveau il se demandait si c’était lui-même, Nekhludov, qui était fou, ou bien si ceux-là étaient