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RÉSURRECTION

qu’il devait suivre pour rejoindre son régiment ; puis les deux vieilles demoiselles lui avaient instamment demandé de venir les voir en passant ; mais surtout il avait lui-même tenu à revoir Katucha. Peut-être avait-il d’avance, au fond de son âme, un mauvais dessein à l’égard de la jeune fille, un dessein que lui dictait l’homme nouveau qui était né en lui ; mais en tout cas il ne se l’avouait pas, et l’unique dessein qu’il s’avouait était de se retrouver dans les lieux où il avait été si heureux avec elle, et de la revoir, et de revoir ses tantes, personnes un peu ridicules, mais bonnes et aimables, et qui l’avaient toujours entouré d’une atmosphère de tendresse et d’admiration.

Il arriva dans les derniers jours de mars, un matin de vendredi saint, en plein dégel, sous une pluie battante, de sorte qu’en approchant de la maison il se sentait mouillé et transi, mais vaillant et très en train, comme il était toujours à cette époque de sa vie.

« Pourvu qu’elle y soit encore ! » — pensait-il en pénétrant dans la cour, toute remplie de neige fondue, et en apercevant la vieille maison de briques qu’il connaissait si bien. — « Si je pouvais la voir apparaître, là, sur le seuil, pour me recevoir ! »

Sur le seuil apparurent deux servantes, pieds nus, les jupes retroussées, portant des seaux, et évidemment occupées à laver le plancher. Mais de Katucha nulle trace ; et Nekhludov vit seulement s’avancer au-devant de lui le vieux Tikhon, le valet de chambre, en tablier lui aussi, qui venait, sans doute, de s’interrompre de quelque nettoyage. Dans le salon, il fut reçu par Sophie Ivanovna, vêtue d’un manteau jaune et coiffée d’un bonnet.

— Ah ! comme c’est gentil à toi d’être venu ! — dit Sophie Ivanovna en l’embrassant. — Marie est un peu souffrante ; elle s’est fatiguée, ce matin, à l’église. Nous nous sommes confessées.

— Bonjour, tante Sonia, — dit Nekhludov en lui baisant la main. — Excusez-moi, je vous ai mouillée !

— Va vite te changer dans ta chambre ! Tu es tout