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RÉSURRECTION

avait maintes fois éprouvée à la chasse, lorsqu’il avait à achever un oiseau blessé : une impression mêlée de pitié et de chagrin. L’oiseau blessé se débat dans la carnassière ; et on le plaint, et on hésite, et en même temps on souhaite de l’achever au plus tôt.

C’était un mélange de sentiments du même genre qui remplissait à cette heure l’âme de Nekhludov, pendant qu’il écoutait les dépositions des témoins.


II


Or l’affaire, comme par un fait exprès, traînait en longueur. Après qu’on eut interrogé un à un les témoins et l’expert, après que, suivant l’habitude, le substitut du procureur et les avocats eurent posé, de l’air le plus important, une foule de questions inutiles, le président invita les jurés à prendre connaissance des pièces à conviction, qui consistaient en une dizaine de bocaux, en un filtre qui avait servi à l’analyse du poison, et en une énorme bague avec une rose de brillants, une bague si énorme qu’elle avait dû orner un index d’une grosseur inaccoutumée. Tous ces objets étaient revêtus d’un sceau et accompagnés d’une étiquette.

Les jurés s’apprêtaient à se lever de leurs sièges pour aller examiner ces objets, lorsque le substitut du procureur, se redressant, demanda qu’avant de montrer les pièces à conviction on donnât lecture des résultats de l’enquête médicale pratiquée sur le cadavre du défunt Smielkov.

Le président, qui pressait l’affaire autant qu’il pouvait afin de rejoindre au plus vite sa Suissesse, savait en outre fort bien que la lecture de ces documents ne pourrait avoir d’autre effet que d’ennuyer tout le monde. Il savait que le substitut du procureur en exigeait la lecture uniquement parce qu’il avait le droit de l’exiger. Mais le président savait aussi qu’il ne pouvait pas s’y opposer, et force lui fut d’ordonner la lecture. Le