Page:Tolstoï - Scenes de la vie russe.djvu/26

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Ainsi donc, maîtresse, apaise ton cœur sauvage, et prends garde de pécher ; rappelle-toi qu’il nous faudra mourir.

L’esprit du mal dominait encore Matréma ; elle jeta sur l’étranger un regard soupçonneux, et demeura silencieuse. Quant à l’hôte inconnu, il restait sans bouger, assis à peine sur le bord du banc, les mains jointes sur les genoux, la tête inclinée sur la poitrine et les yeux constamment fermés. Son front était voilé d’une sombre mélancolie, et sa respiration paraissait oppressée. Matréma ne parlait plus. Sema l’interpella de nouveau :

— Matréma ! Dieu t’aurait-il donc abandonnée ?

Cet appel vibra étrangement à l’oreille de Matréma, qui jeta un nouveau regard sur l’étranger, et elle sentit aussitôt son cœur s’alléger d’un poids immense. Quittant la porte, elle s’approcha vivement du poêle, et en tira le repas du soir ; elle le plaça devant les deux hommes, elle apporta aussi la cruche de kwass, qu’elle posa sur la table après l’avoir remplie jusqu’au bord ; elle mit aussi le dernier morceau de pain et, d’une voix apaisée, dit à ses