Page:Tolstoï - Souvenirs.djvu/34

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ombres du châssis de la fenêtre, tombait sur le plancher, grimpait le long de la muraille et jusque sur le plafond. Dans la cour, le veilleur frappa sur sa planche de cuivre.

Gricha se taisait. Debout devant les images, ses mains énormes jointes sur sa poitrine, sa tête inclinée en avant, il respirait péniblement. Il se mit ensuite à genoux avec difficulté et pria.

Il récita d’abord tout bas des prières connues, en appuyant seulement sur certains mots, puis il recommença les mêmes prières, plus haut et en s’animant, enfin il se mit à improviser. Il essayait de s’exprimer en slavon, et on sentait que cela lui donnait de la peine. C’était incohérent, mais touchant. Il pria pour tous ses bienfaiteurs (il appelait ainsi les gens qui le recevaient chez eux), entre autres pour maman et pour nous ; il pria pour lui-même et demanda à Dieu de lui pardonner ses grands péchés ; il se mit à répéter : « Mon Dieu, pardonne à mes ennemis ! », se releva en gémissant, se jeta tout de son long à terre en répétant toujours les mêmes paroles et se releva de nouveau, malgré le poids des chaînes, qui faisaient un bruit sec et métallique en frappant le plancher.

Volodia me pinça la jambe et me fit très mal, mais je ne tournai même pas la tête. Je me contentai de me frotter la jambe et je continuai à regarder et à écouter Gricha avec un mélange d’étonnement enfantin, de pitié et de vénération.

Au lieu de m’amuser et de rire, comme j’y avais compté en entrant dans la décharge, je me sentais frissonner d’effroi.

Gricha demeura encore longtemps dans une sorte d’extase, continuant à improviser des prières. Tantôt il répétait plusieurs fois : Seigneur, aie pitié de nous, mais chaque fois avec plus de force et avec une intonation différente ; tantôt il disait : Pardonne-moi, Seigneur, enseigne-moi ce qu’il faut faire… enseigne-moi ce qu’il faut faire, Seigneur ! et l’on aurait dit, à son accent, qu’il s’attendait