Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/302

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par l’étroite ouverture, au rire général des soldats, qui tous, à l’exception de Vlang, du vieil artificier et de deux ou trois autres qui se montraient rarement dans la tranchée, s’étaient glissés dehors pour respirer l’air frais du matin. Malgré la violence du bombardement, on ne put les empêcher d’y rester, les uns auprès de l’entrée, les autres abrités par le parapet ; quant à Melnikoff, dès la pointe du jour, il allait et venait entre les batteries, regardant en l’air avec indifférence.

Sur le seuil même du logement étaient assis trois soldats : deux vieux et un jeune ; ce dernier, un juif crépu, fantassin attaché à la batterie, ramassa une balle qui traînait à ses pieds, et, l’aplatissant avec un tesson contre une pierre, il y découpa une croix sur le modèle de celle de Saint-George, pendant que les autres causaient, suivant avec intérêt son travail, car il y réussissait fort bien.

« Je dis que si nous restons ici encore quelque temps, la paix venue, nous serons mis à la retraite.

— Bien sûr ! je n’avais plus que quatre ans à servir, et voilà cinq mois que je suis ici !

— Ça ne compte pas pour la retraite, dit un autre au moment où un boulet, sifflant au-dessus de leur groupe, frappa le sol à une archine de Melnikoff, qui venait à eux par la tranchée.

— Il a manqué tuer Melnikoff, s’écria un soldat.

— Il ne me tuera pas ! répondit ce dernier.

— Tiens, prends cette croix pour ton courage, dit le jeune soldat juif en achevant la croix et en la lui remettant.

— Non, frère, ici les mois comptent pour des années, sans exception, il y a eu là-dessus un ordre, poursuivit le causeur.

— Quoi qu’il arrive, il y aura pour sûr à la paix une revue de l’empereur à Varsovie, et si l’on ne nous donne pas la retraite, ce sera le congé illimité. »

Juste à cet instant, une petite balle, volant par ricochet