Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/102

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— Vous avez là, monsieur, disait le vieillard, une triste figure à peindre ! et comme la copie est destinée à survivre bientôt à l’original, ce que vous pourrez y mettre de moins triste sera le bienvenu, car je ne suis point curieux de faire peur à mes petits-enfants. Certes, continua-t-il en souriant doucement, ce n’est pas coquetterie que de me faire peindre à l’âge et dans l’état où me voici, et je pense que beaucoup de vos modèles choisissent mieux leur moment !

— Pas toujours, monsieur, dit le peintre ; une figure aussi vénérable que la vôtre se rencontre plus rarement peut-être que la fraîcheur et la jeunesse elles-mêmes.

— C’est un compliment, monsieur, je l’accepte. Je n’ai plus beaucoup de temps à en recevoir… Lucy, je vous attriste ; mais, ma chère enfant, ne sauriez-vous envisager l’avenir aussi tranquillement que votre père ? Je vous prie, quand nous nous quitterons, qui de nous deux aura le plus à regretter ? J’en fais juge monsieur…

— Je me récuse, monsieur ; il me paraît, comme à mademoiselle, qu’une pareille séparation doit être si à craindre pour tous les deux, qu’il vaut mieux en détourner les yeux.

— Voilà justement, monsieur, ce que j’appelle faiblesse ; c’est celle dont je voudrais guérir ma fille. Je l’excuse, cette faiblesse, quand il s’agit de ces coups qui, trompant de légitimes espérances, frappent la jeunesse dans sa fleur, et lui ravissent ces belles années qui lui semblaient acquises. Mais quand la mort nous atteint au terme prévu de la vie… quand elle est comme le sommeil qui vient succéder aux fatigues d’une journée laborieuse… quand un père, heureux jusqu’au dernier moment de la tendresse de sa fille chérie, n’aspire plus qu’à s’endormir dans ses bras… est-ce donc