Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/175

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dans sa demeure, nulle variété dans ses habitudes, nul changement dans sa mise antique ; aussi, comme tout ce qui est uniforme et constamment semblable, comme les maisons, comme les bornes, on le voyait sans le remarquer. Deux ou trois fois pourtant, des passants m’arrêtèrent pour me demander quel était ce vieillard ; mais c’étaient des étrangers que frappait son allure ou sa mise, différente de celle des autres passants. — C’est mon oncle ! leur disais-je, fier de leur curiosité.

De ce genre de vie et de goûts dérivaient certaines habitudes d’esprit. Si mon oncle, homme d’étude, ignorait le monde, d’autre part, plein de foi à la science, il prenait dans les livres ses doctrines et ses opinions, apportant à ce choix non pas l’impartialité suspecte d’un philosophe, mais le calme d’un esprit qui, étranger aux passions et aux intérêts du monde, n’a ni hâte de conclure, ni motif pour pencher. Ainsi, toutes les hardiesses de la philosophie lui étaient familières, et il avait débattu avec non moins de soin jusqu’aux plus ardues questions de la théologie, sans qu’il fût facile de deviner quelle était au fond sa croyance religieuse. Quant à la morale, il l’avait étudiée avec ce même esprit d’érudition, pour connaître plus que pour comparer ; en telle sorte qu’il était tout aussi malaisé de démêler quels étaient les principes qui dirigeaient sa conduite. En fait de croyances comme en fait de principes, rien ne l’étonnait, rien ne l’irritait ; et, si ses convictions étaient faibles, sa tolérance était entière.

Ce portrait que je trace de mon oncle lui ôtera l’affection de bien des lecteurs, peut-être leur estime. Je m’en afflige, et d’autant plus qu’à cause de cela je sens moi-même décroître mon amitié pour eux. À la vérité,