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à mes plaisirs, et tantôt me donnant d’indulgentes leçons, plus souvent encore provoquant mon repentir par la tristesse de son regard et la visible peine de son cœur ; en tout temps, attentif à compenser par ses tendres soins l’infériorité où pouvait me placer, aux yeux des autres, le vice de ma naissance. En songeant que durant tant d’années il avait dédaigné d’en trahir le secret, et de s’en faire un titre à ma reconnaissance, je me sentais attendrir par les plus vifs sentiments de respect et d’amour.




Mais, en même temps que j’éprouvais plus d’affection pour lui, j’étais devenu plus timide à la lui témoigner. Plusieurs fois, ému de reconnaissance, j’avais été sur le point de me jeter dans ses bras, laissant à mes pleurs et à mon trouble le soin de lui montrer tout ce que je n’osais ou ne savais lui dire ; et toujours, la retenue que m’imposait sa présence comprimant l’essor de mes sentiments, je restais auprès de lui gauche, silencieux, et, en apparence, plus froid qu’à l’ordinaire. Alors aussi j’éprouvais le besoin de m’éloigner, et, mécontent de moi, je revenais dans ma solitude. Là, j’imaginais mille incidents d’où je pusse tirer occasion de lui parler ; et bientôt, trouvant un langage, je lui tenais tout haut les plus tendres discours. Mais l’oserai-je dire ? souvent, par un tour bizarre que prenait mon imagination, j’aimais à me supposer atteint d’un mal mortel, appelant à mon chevet cet homme vénéré ; et là, comme si l’attente d’une mort prochaine et prématurée dût imprimer à mes paroles un accent plus touchant et plus vrai, je lui demandais pardon de mes fautes passées ; je bénissais avec attendrissement ses