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L’EXODE

et l’ennui de la province en avaient éteint les anciennes flammes, et souvent leur pâle regard se détournait avec timidité.

S’il se croyait, comme Philippe, supérieur à sa destinée, il se consolait en pensant que l’écrivain, non plus, ne s’était élevé à la grande réputation.

Le sentiment de leur commune faillite resserra leur amitié. En dépit de leurs idées contraires, ils se plaisaient ensemble, unis par des habitudes, par de mutuelles obligations, surtout par le souvenir de leur jeunesse, dont ils ne se lassaient point d’évoquer les beaux jours d’espoirs et d’illusions.

Si le médecin s’était résigné à la vie paisible, au bonheur conjugal, Philippe, au contraire, prenait plus d’audace avec l’âge, et, même quand son orgueil cédait à la force des choses, du moins ne renonçait-il pas… Vers la mi-septembre 1914, la guerre avait peu troublé les habitudes des Yprois.

L’épicier, du seuil de sa boutique, saluait ses clients au passage ; les bourgeois prenaient l’apéritif à la terrasse du Sultan ; la cornette blanche d’une religieuse battait de l’aile vers le portail d’une église ; les « demoiselles » de la pâtisserie Maclou trônaient derrière leur comptoir, mais on n’y voyait plus les officiers de l’école de cavalerie, en bottes fines et culottes de cheval, faire la cour aux jolies filles, en se battant le mollet d’une cravache de bambou.

Et le carillon des halles secouait sur les toits sa chanson du passé. Il avait vu tant de guerres