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TROISIÈME PARTIE

affecta de se réunir à neuf heures précises pour voir Barnabé « remonter son carillon ». Comme ces médiocres plaisanteries menaçaient de le brouiller avec le colonel, Barnabé se résigna à l’achat d’un chronomètre d’or.

Ce fut une victoire pour le « parti avancé » de la Concorde. Et l’on félicita le vieux médecin, lorsque, par habitude, il réglait sa nouvelle montre, comme l’ancienne, au coup de neuf heures, à la pendule du Cercle. Barnabé, serrant la pomme du remontoir entre le pouce et l’index de la main gauche, tournait de l’autre son beau chronomètre avec une maladresse volontaire.

— Voyons, s’écriait le colonel, ce n’est pas ainsi… Vous n’y êtes pas du tout !

Mais les doigts lourds du vieillard ne montraient aucune complaisance à cet engin nouveau. Si légers et prudents à tenir la montre ancienne, ils se faisaient durs et négligents à manier cette mécanique sans âme, outrageusement brillante, et qui représentait à ses yeux l’injurieuse vulgarité du « modernisme », dont le nouveau quartier de la gare offrait de si déplorables échantillons.

Un beau soir, Barnabé s’aperçut qu’il avait forcé le fameux chronomètre ! Et il en éprouva une secrète satisfaction.

— La voilà bien, votre camelote ! s’écria-t-il en prenant à témoin ces messieurs ; elle m’a coûté quatre cents francs et m’a servi quinze jours !