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DEUXIÈME PARTIE

Mais, depuis la victorieuse résistance de l’armée, chacun, reprenant conscience de soi-même, sortait d’une hallucination de terreur et ne sentait plus cette pierre d’angoisse qui, jusqu’alors, lui avait écrasé la poitrine.

On ne pouvait dire, pourtant, que Bruxelles fût tranquille. Depuis quelques jours, la chasse aux Allemands affolait toute la population. On se lançait dans les rues à la poursuite aveugle des suspects ; on s’arrêtait les uns les autres :

— Vos papiers ?

— Je ne les ai pas sur moi.

— Au bureau de police !… Arrêtez-le !

Les cannes, les poings s’abattaient sur les victimes. Des gendarmes, des gardes civiques s’élançaient à leur secours, et l’on apercevait dans le tumulte un visage rougi de sang qui hurlait d’épouvante.

Craignant les fureurs instinctives de la populace, Philippe s’empressa vers la chaussée de Charleroi, où Lucienne et sa mère occupaient un spacieux appartement, au premier étage d’un hôtel à porte cochère.

Du haut de l’escalier, la jeune fille, un peu rougissante, sourit à l’écrivain.

— Vous m’avez bien abandonnée ! dit-elle en lui serrant la main.

— Je suis venu, mais vous étiez sortie.

Tout en s’excusant, il se sentit troublé.

— Que de changements depuis notre voyage ! dit-il,