Page:Touchatout - Le Trombinoscope, Volume 1, 1871.djvu/12

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de passion dans ses plaidoyers, que ses clients empochèrent régulièrement deux ou trois ans d’emprisonnement de plus que s’ils eussent été défendus par Lachaud ou tout autre ; mais la popularité du jeune avocat n’en grandissait que plus vite, ce qui était pour eux une compensation. — On sait, en effet, de quelle façon les avocats politiques défendent leurs clients : « Messieurs les juges — disent-ils — cet homme que vous avez devant vous a traité de grand melon le sergent de ville qui lui avait flanqué un coup de casse-tête dans le dos ; il ne faut pas donner à cette injure une importance autre que son importance réelle. Dans un délit, on doit avant tout considérer l’intention ; mon client a voulu dire : grand mufle !… c’est l’expression qui lui a manqué. Je ne vous parlerai pas, messieurs les juges, du repentir de l’accusé, il n’en a pas !… et je profiterai de cette occasion qui m’est offerte pour protester au nom de la liberté, ce bien le plus sacré, contre un pouvoir indigne et despotique qui nous opprime depuis vingt ans, et qui, un jour ou l’autre, doit disparaître par l’excès même de son infamie !… Oui, messieurs les juges !… le moment approche où les peuples, brisant…, etc…, etc… » — On voit le reste d’ici ; les juges, furieux, font la bonne mesure à l’accusé, et l’avocat met, en rentrant chez lui, cinq mille voix en portefeuille pour les élections prochaines. — En décembre 1868, plusieurs journaux qui avaient ouvert des souscriptions pour élever un monument au représentant Baudin, furent poursuivis ; Me Gambetta les défendit avec une vigueur dont tout le monde fut transporté ; les accusés, même, furent à deux doigts de l’être. — En mars 1869, il plaida d’une manière non moins brillante pour le journal toulousain l’Émancipation ; et aux élections il fut élu victorieusement à Paris et à Marseille ; il opta pour cette dernière ville. — Pour préparer son élection, M. Gambetta avait dû prononcer de nombreux discours dans les réunions publiques ; il y gagna une laryngite qui l’atteignit à peine élu, et il dut prendre quelques mois de repos qu’il employa, dit-on, moins à retrouver son organe qu’à chercher sa voie, car, dans les rangs des purs, il était déjà entaché d…’indécision. — Il revint prendre sa place au Corps législatif où, pas plus que ses collègues Jules Favre, Jules Simon et autres, il n’eut assez de vigueur pour provoquer