Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/128

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comme par le soleil. Il était accessible à tous. Il excellait en tout. Aux courses, il menait lui-même et acceptait n’importe qui pour adversaire. Jamais il ne se hâtait pour devancer son rival, jamais il ne l’accrochait, et il ne lâchait décidément les brides qu’en approchant de la borne. Et il consolait le vaincu, lui faisait des éloges sur son cheval. Il avait des ramiers à bec blanc de premier choix. Quelquefois il descendait dans sa grande cour, s’asseyait dans un fauteuil et faisait lâcher tout son colombier. Sur les toits d’alentour se tenaient des domestiques armés de fusils contre les vautours. Aux pieds du comte on déposait un grand bassin d’argent plein d’eau où il regardait se refléter les exercices de ses pigeons. Les infirmes et les pauvres venaient par centaines recevoir du pain aux grilles de son arrière-cour, et que d’argent il leur faisait distribuer ! Quand on l’irritait, il éclatait comme un tonnerre, mais il faisait plus de peur que de mal. Il souriait et c’était fini. S’il donnait une fête, tout Moscou était ivre. Et quel homme intelligent ! C’est lui qui a battu les Turcs. Il aimait à lutter corps à corps et il faisait venir des hercules de Toula, de Kharkhov, de Tambov, de partout. Le vaincu avait une récompense, mais celui qui l’avait renversé lui-même, le comte