Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/310

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Avec les gens d’un rang inférieur, il est bien autrement cavalier ; il ne les regarde pas du tout et avant de leur expliquer un désir ou de leur donner un ordre, il répète plusieurs fois d’un air affairé et distrait : « Comment t’appelle-t-on ? » en appuyant beaucoup sur la première syllabe et en prononçant très vite les autres, quelque chose qui rappelle le cri du mâle de la caille. Il s’agite beaucoup pour les affaires de sa maison, mais c’est un mauvais administrateur. Il a pris pour régisseur un Petit-Prussien très sot, ancien maréchal des logis… Au reste, personne dans notre province n’est encore, en fait d’économie rurale, à la hauteur de ce grand fonctionnaire pétersbourgeois qui, lisant sur les rapports de son intendant que les granges de ses domaines étaient souvent la proie du feu, donna par écrit des ordres sévères pour que désormais « on ne mît plus une seule gerbe en grange avant que l’incendie ne fût complètement éteint ».

Ce même haut dignitaire s’avisa d’ensemencer tous ses champs de graine de pavot parce que le grain de pavot, se vendant plus cher que le grain de seigle, doit nécessairement rapporter davantage. C’est encore lui qui ordonna que toutes ses babas portassent des kakochniks