Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/76

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Le vieillard cracha sur son appât et jeta l’hameçon.

― C’était un vrai seigneur, on le sait. On peut dire que tous les grands personnages de Pétersbourg venaient chez lui, et les plus grands de l’empire mettaient leur grand cordon de Saint-André[1] pour venir à sa table. C’est qu’il était passé maître pour recevoir. Il lui arrivait de m’appeler, il me disait : « Touman, il me faut pour demain des sterlets vivants, il en faut ; ordonne qu’on en trouve, tu as entendu ? ― J’ai entendu, votre Excellence. » Il fait venir de Paris des cafetans brodés, des perruques, des cannes, des parfums, la décolonne[2] première qualité, des tabatières et de grands tableaux, grands, grands. S’il donnait des banquets ? Ah ! Seigneur Dieu de ma vie !… des fédartfices[3], des promenades en voiture, des salves même de canon. Il avait quarante musiciens d’orchestre. Il leur avait donné un chef allemand ; mais celui-là était aussi par trop fier ; il voulut manger à la table de Son Excellence, et il insista si fort que Son Excellence l’envoya dîner avec Dieu[4]. Et Son Excellence disait : « Mes musi-

  1. La plus haute décoration des tsars.
  2. De l’eau de Cologne.
  3. Feux d’artifice.
  4. Le congédia.