Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/111

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— Mais sur quoi dissertez-vous ? dit tout à coup le général robuste, qui jouait évidemment dans cette société le rôle d’enfant gâté. Toujours sur les journaux, sur les écrivassiers ? Permettez que je vous raconte là-dessus une merveilleuse anecdote qui m’est arrivée. On m’avertit qu’un folliculaire a écrit sur moi un libelle. Je le fais venir tout de suite sous bonne garde. On amène le pigeon… « Tu t’amuses donc, lui dis-je, ami folliculaire, à écrire des libelles ? Tu brûles donc de patriotisme ? — J’en brûle, répondit-il. — Et l’argent, lui dis-je, folliculaire, tu l’aimes ? — Je l’aime. » Ici, messieurs, je lui mis sous le nez le pommeau de ma canne. « Et cela, l’aimes-tu, mon ange ? — Non, dit-il, je n’aime pas cela. — Sens-le bien, j’ai les mains propres. — Cela suffit, je n’aime pas cela. — Eh bien, mon cœur, j’adore cela, seulement pas sur mon dos. Comprends-tu cette allégorie, mon trésor ? — Je comprends, dit-il. — Eh bien, dorénavant, fais bien attention, sois bien gentil, entends-tu, mon chéri ; maintenant, voilà un rouble, va, et prie pour moi jour et nuit. » Et le folliculaire s’en alla.

Le général se mit à rire. Tous lui firent écho, sauf Irène, qui ne sourit même pas, et jeta un sombre regard sur le narrateur.

L’obligeant général secoua l’épaule de Boris.

— Tu as inventé tout cela, mon très cher. Tu ne me feras pas accroire que tu puisses menacer quelqu’un de ta canne. Tu n’en as même pas. C’est