Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/123

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— Hum !… cette comparaison s’applique particulièrement à ce milieu ?

— Oui… en général.

— Hum !… mais vous-même, Sozonthe Ivanovitch, quelle est votre opinion sur le diable ?

— Je pense, Grégoire Mikhailovitch, qu’il n’est pas, en tous cas, tel qu’on le dépeint.

— Il est mieux ?

— Mieux ou pis, c’est difficile à décider, mais il n’est pas ce qu’on dit. Eh bien ! allons-nous ?

— Reposez-vous d’abord un peu. Je vous avoue qu’il me paraît toujours un peu étrange…

— Oserais-je vous demander ce qui vous paraît étrange ?

— Comment, vous, vous avez pu devenir l’ami d’Irène Pavlovna ?

Potoughine reprit modestement.

— Avec ma figure, ma situation dans le monde, c’est en effet invraisemblable ; mais, vous savez, Shakespeare a dit : « Il y a bien des choses au ciel et sur la terre, Horatio, que n’a pas rêvées votre philosophie. » Prenons une métaphore : voici un arbre, il n’y a pas un souffle de vent, il est impossible que la feuille de la branche inférieure touche celle de la branche supérieure, mais vienne l’orage, tout se confond, et les deux feuilles peuvent se toucher.

— Ah ! il y a donc eu des orages ?

— Je crois bien ! Comme si on pouvait vivre sans cela ? Mais mettons la philosophie de côté ; il est temps de partir.