Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/144

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tends la main comme une misérable, comprenez enfin cela, comme une misérable… J’implore l’aumône, ajouta-t-elle avec une involontaire et irrésistible véhémence, je demande l’aumône, et vous… !

La voix lui fit défaut. Litvinof releva la tête et la regarda : sa respiration était haletante, ses lèvres tremblantes. Il sentit battre son cœur, et cette espèce de colère qu’il avait ressentie disparut.

— Vous dites, continua Irène, que nos voies sont différentes ; je sais que vous vous mariez par inclination, vous avez arrangé déjà un plan pour toute votre vie, mais nous ne sommes pas devenus si étrangers l’un à l’autre, Grégoire Mikhailovitch, nous pouvons encore nous comprendre l’un l’autre. Supposez-vous que je sois complètement hébétée, que je me sois complètement embourbée dans ce marais ? Ah ! non, ne croyez pas cela, de grâce. Laissez-moi reposer un peu mon âme, quand ce ne serait qu’au nom des jours écoulés, puisque vous ne voulez pas les oublier. Faites en sorte que notre rencontre ne soit pas stérile, je ne demande que peu, très peu… un peu de sympathie, je demande seulement que vous ne me repoussiez pas, que vous laissiez reposer un peu mon âme…

Irène se tut ; on sentait des larmes dans sa voix. Elle soupira et tendit la main. Litvinof la prit lentement et la pressa faiblement.

— Soyons amis, murmura Irène.

— Amis, répéta mélancoliquement Litvinof.

— Oui, amis, et, si c’est trop exiger, soyons du