Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/149

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— Quel diamant ? demanda Litvinof.

— Mais, vous savez, ce gros monsieur qu’on voit ici et qui s’imagine qu’il est un musicien de génie. « Sans doute, dit-il, je ne suis qu’un zéro, parce que je n’ai pas étudié ; mais j’ai, sans comparaison, plus de mélodie et d’idée que Meyerbeer. » En premier lieu, avais-je envie de lui répondre, pourquoi n’as-tu pas étudié ? Et en deuxième lieu, sans parler de Meyerbeer, chez le dernier joueur de flûte allemand, faisant modestement sa partie dans le dernier orchestre d’Allemagne, il y a vingt fois plus d’idées que chez tous nos soi-disant diamants bruts ; seulement ce joueur de flûte garde pour lui ses idées et n’en importune pas la patrie des Mozart et des Haydn, tandis que notre fanfaron, dès qu’il a composé la moindre valse ou la moindre romance, les mains dans les goussets et un sourire de mépris à la bouche, se déclare un génie. Le même manège se répète pour la peinture et dans tout. Ah ! ces diamants bruts, j’en ai par-dessus la tête. Ne serait-il pas temps de jeter aux orties toutes ces vanteries, tous ces mensonges : « Personne ne meurt de faim en Russie… Nulle part on ne voyage plus vite… Nous sommes assez nombreux pour enterrer nos ennemis sous nos bonnets… » On me parle toujours de la riche nature russe, de notre instinct supérieur, de Koulibine ! Où vont-ils chercher cette richesse ? Je n’entends que le bégayement de l’homme qui se réveille, qu’une finesse plus digne de l’animal que de l’être humain. De l’instinct ! Il y a bien de quoi se