Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/213

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sentit sa respiration passer sur ses cheveux, mais, quand il se releva, elle n’était déjà plus dans la chambre, il n’entendit que le frôlement de sa robe dans le corridor, et Ratmirof qui criait avec impatience : « Eh bien ! vous ne venez pas ? »

Litvinof s’assit sur une grande malle et, mettant ses mains sur son visage, il sentit un parfum subtil et frais. Irène avait tenu ses mains dans ses mains. « C’en est trop, » pensait-il. La petite fille entra dans la chambre et, souriant de nouveau à son regard effaré, elle lui dit : « Veuillez sortir maintenant, avant que… » Il se leva et quitta l’hôtel. Comment penser à revenir tout de suite à la maison ? il fallait reprendre ses sens. Son cœur battait d’une façon inégale et lente ; la terre semblait onduler sous ses pieds. Litvinof s’engagea dans l’allée de Lichtenthal. Il comprenait que le moment décisif était arrivé, qu’il n’était plus possible d’ajourner, de se cacher, de recourir aux expédients, qu’une explication avec Tatiana était inévitable ; mais comment l’entamer ? Il dit adieu à tout son avenir si heureusement et si utilement combiné ; il savait qu’il se jetait la tête en avant dans un précipice, et ce n’était pourtant pas cela qui le troublait. C’était chose résolue, mais comment allait-il se présenter devant son juge ? Et si réellement il avait affaire à un juge, à un ange portant un glaive de feu, son cœur criminel l’aurait accepté peut-être, mais ici il lui fallait enfoncer lui-même le couteau… C’était horrible ! Il pouvait