Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/216

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d’éviter de répondre à cette question, il n’y a pour cela qu’à regarder une fois ses yeux. Elle mérite tout le bonheur possible : enviable est le sort de l’homme destiné à lui procurer ce bonheur ! Il faut désirer qu’il se montre digne d’un pareil lot.

Litvinof fronça légèrement le sourcil. — Permettez, Sozonthe Ivanovitch, je trouve notre entretien assez étrange… Je voudrais savoir si l’allusion que contiennent vos dernières paroles se rapporte à moi ?

Potoughine ne se pressa pas de répondre à Litvinof ; il était évident qu’il soutenait une lutte intérieure. — Grégoire Mikhailovitch, dit-il enfin, si je ne me suis pas complètement trompé sur votre compte, vous êtes capable d’entendre la vérité de qui que ce soit et sous quelque aspect pénible qu’elle se présente. Je viens de vous dire que j’ai vu d’ici d’où vous sortiez.

— Eh bien ! oui, de l’hôtel de l’Europe. Après ?

— Je sais qui vous avez vu là !

— Eh bien ! j’ai été chez madame Ratmirof. Et après ?

— Après ?… Vous êtes fiancé à Tatiana Pétrovna et vous avez vu madame Ratmirof que vous aimez… et qui vous aime.

Litvinof sauta du banc ; le sang lui monta au visage. — Qu’est-ce que cela ? dit-il d’une voix sourde et irritée, une mauvaise plaisanterie ? de l’espionnage ? Veuillez vous expliquer.

Potoughine lui jeta un regard morne. — Ah !