Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/217

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que mes paroles ne vous offensent pas, Grégoire Mikhailovitch ; quant à moi, vous ne sauriez me blesser ; et je n’ai pas l’esprit à la plaisanterie.

— C’est possible, c’est possible. Je suis prêt à ajouter foi à la pureté de vos intentions ; je me permettrai toutefois de vous demander de quel droit vous vous mêlez des affaires intérieures, de la vie de cœur d’un étranger, et sur quel fondement vous présentez avec tant d’assurance votre… invention comme la vérité ?

— Mon invention ! Si j’ai inventé cela, vous ne vous seriez pas fâché. Quant à ce que vous appelez le droit, je n’ai encore jamais entendu qu’un homme se soit posé cette question : ai-je ou non le droit de tendre la main à celui qui se noie ?

— Je suis excessivement touché de votre intérêt, interrompit avec vivacité Litvinof, mais je n’en ai nullement besoin, et toutes ces phrases sur la ruine dans laquelle les femmes entraînent les jeunes gens inexpérimentés, sur l’immoralité du grand monde, et cœtera, je ne les prends que pour des phrases et les méprise même en un certain sens ; c’est pourquoi je vous prie de ne pas fatiguer votre main libératrice, et de me permettre de me noyer en paix.

Potoughine leva de nouveau les yeux vers Litvinof, il respirait péniblement, ses lèvres tremblaient.

— Mais regardez-moi donc, jeune homme, — finit-il par dire en se frappant la poitrine, — est-ce que je ressemble à un pédant moraliste, à un prédi-