Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/221

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Potoughine perdit de vue Irène, mais il ne put l’oublier. Trois ans après, une dame qu’il connaissait très peu l’engagea à venir la trouver. Cette dame, après mille circonlocutions et après lui avoir fait jurer qu’il garderait le plus profond secret sur ce qu’elle allait lui révéler, lui proposa d’épouser une personne d’une situation élevée pour laquelle le mariage était devenu une nécessité. Elle n’osa presque pas faire allusion au principal personnage de l’histoire, mais promit à Potoughine de l’argent, beaucoup d’argent. Potoughine ne s’offensa point — la surprise étouffa sa colère, — mais, naturellement, il refusa tout net. La négociatrice lui remit alors un billet d’Irène. « Vous êtes un homme loyal et bon, écrivait-elle, je sais que vous ferez tout pour moi ; je vous demande ce sacrifice. Vous sauverez un être qui m’est cher. En le sauvant, vous me sauverez également. Ne m’interrogez pas là-dessus. Il n’y a personne à qui je me serais décidée à faire pareille demande, mais à vous je vous tends la main et vous dis : faites cela pour moi. » Potoughine réfléchit et déclara qu’en effet il était capable de faire beaucoup pour Irène Pavlovna, mais qu’il aimerait à l’entendre exprimer son désir elle-même. L’entrevue eut lieu le même soir ; elle ne se prolongea pas longtemps et ne fut connue que de cette dame. Irène ne demeurait plus déjà chez le comte Reisenbach.

— Pourquoi vous êtes-vous souvenue de moi ? lui demanda Potoughine.