Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/222

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Elle commença à s’étendre sur ses solides qualités, puis s’interrompant brusquement.

— Non, dit-elle, je ne saurais vous cacher la vérité. Je savais, je sais que vous m’aimez, voilà pourquoi je me suis décidée.

Alors elle lui raconta tout. Élise Belsky était orpheline ; ses parents l’abhorraient et comptaient sur son héritage… elle allait être perdue. Potoughine regarda longtemps en silence Irène et consentit. Elle fondit en larmes et se jeta à son cou. Et lui pleura… mais ces larmes étaient différentes. Tout s’apprêtait pour l’union secrète, une main puissante avait écarté tous les obstacles, lorsqu’une maladie se déclara : une fille vint au monde, la mère s’empoisonna. Que faire de l’enfant ? Potoughine la prit sous sa tutelle des mains d’Irène.

Effrayante, terrible histoire ! mais passons, lecteur, passons.

Une heure s’écoula avant que Litvinof se fût décidé à rentrer dans son hôtel. Il s’en approchait lorsqu’il entendit tout à coup marcher derrière lui : quelqu’un paraissait le suivre et hâter le pas quand il marchait plus vite. Arrivé à un réverbère, Litvinof se retourna et reconnut le général Ratmirof. Le général revenait seul du dîner, en cravate blanche, un élégant paletot jeté sur les épaules, une file de croix attachée par une chaînette d’or à la boutonnière de son habit. Son regard, directement, impertinemment dirigé sur Litvinof, exprimait un tel mépris, une telle haine, toute sa figure respirait