Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/255

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chiffons, je dois aujourd’hui en faire un choix. Ah ! j’ai le cœur bien gros, s’écria-t-elle tout à coup, et elle colla son visage sur le carton. Des larmes revinrent de nouveau sur ses yeux ; elle recula : les larmes pouvaient gâter les dentelles.

— Irène, tu pleures encore, dit avec anxiété Litvinof.

— Eh bien ! oui, reprit Irène. Ah ! Grégoire, ne me tourmente pas toi-même. Soyons des êtres libres ! Quel malheur y a-t-il à ce que je pleure ? Est-ce que je comprends moi-même pourquoi coulent ces larmes ? Tu sais, tu as entendu ma décision, tu es sûr qu’elle ne changera pas, que je consens à… comment as-tu dit cela ?… à tout ou rien…, que veux-tu de plus ? Soyons libres ! Pourquoi ces chaînes mutuelles ? Nous sommes maintenant ensemble, tu m’aimes, je t’aime ; n’aurions-nous rien de mieux à faire qu’à fouiller dans nos sentiments ? Regarde-moi : je ne me fais pas d’illusion, je sais que je suis criminelle, et qu’il est en droit de me tuer. Qu’importe ? Soyons libres. Un jour à nous, c’est l’éternité !

Elle se leva, regarda Litvinof d’en haut, en souriant et en rejetant de son visage une boucle sur laquelle perlaient deux ou trois larmes. Un riche fichu en dentelle glissa de la table et tomba sous les pieds d’Irène ; elle le foula du pied avec mépris.

— Est-ce que je ne te plais pas aujourd’hui ? Ai-je enlaidi depuis hier ? Dis-moi, as-tu souvent vu un plus beau bras ? Et ces cheveux ? Dis, m’aimes-tu ?