Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/269

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était fermement résolu à ne pas faire un effort pour lui échapper.

Déjà il s’asseyait dans le wagon.

— Grégoire Mikhailovitch…, murmura derrière lui une voix suppliante.

Il tressaillit. Est-ce possible ? Irène ! C’était elle, en effet. Enveloppée dans le châle de sa femme de chambre, un chapeau de voyage retenant à peine ses tresses dénouées, elle se tenait sur la plate-forme et le regardait avec des yeux à demi ouverts. Reviens, reviens, je suis venue te chercher, disaient ces yeux. Et que ne promettaient-ils pas ! Elle ne bougeait point ; elle n’avait pas la force de parler, mais tout en elle semblait implorer grâce.

Litvinof eut de la peine à ne pas fléchir, à ne pas s’élancer vers elle, mais le flot sauveur auquel il s’était donné prit le dessus. Il sauta dans le wagon et, se retournant, il montra à Irène une place vide à côté de lui. Elle le comprit. Il en était temps encore. Un pas, un mouvement, et deux êtres à jamais liés allaient être emportés dans l’inconnu… Tandis qu’elle hésitait, un coup de sifflet retentit et le train s’ébranla.

Litvinof se renversa en arrière ; Irène atteignit en chancelant un banc et s’y laissa tomber, à l’extrême surprise d’un diplomate en disponibilité, rôdant là par hasard.

Il connaissait peu Irène, mais s’intéressait beaucoup à elle ; voyant qu’elle était comme évanouie, il présuma qu’elle avait une attaque de nerfs et crut