Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/70

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venaient ces fleurs. Le domestique lui répondit qu’elles avaient été apportées par une dame qui avait refusé de se nommer, et avait seulement dit que Herr Zluitenhof devinerait certainement par ces fleurs qui elle était. Litvinof sembla de nouveau se souvenir de quelque chose… Il questionna le domestique sur la tournure de cette dame. Elle était grande, élégamment vêtue et portait un voile.

— Ce doit être une comtesse russe, ajouta le garçon.

— Pourquoi le supposez-vous ?

— Elle m’a donné deux florins.

Litvinof le renvoya et resta ensuite longtemps devant la fenêtre, à réfléchir ; il finit enfin par faire un geste d’impatience et reprit la lettre de la campagne. Son père y répandait ses plaintes habituelles ; il l’assurait que le blé ne se vendait à aucun prix ; que les paysans n’obéissaient plus, et qu’apparemment on approchait de la fin du monde. « Imagine-toi, disait-il, entre autres choses, qu’on a ensorcelé mon dernier cocher. Il serait certainement mort si de braves gens ne m’avaient conseillé de l’envoyer à Rézan, chez un prêtre connu pour ses remèdes contre le mauvais sort. La cure a réussi, en effet, on ne peut mieux ; en foi de quoi j’inclus ici la lettre même du prêtre comme un document. » Litvinof la parcourut avec curiosité. Elle était ainsi conçue : Nicanor Dmitrief a été frappé d’une maladie que la médecine était impuissante à guérir ; de mauvaises gens la lui avaient subrepticement