Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/72

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chacune de ses paroles ; comme une poupée sortant d’une tabatière, Vorochilof sautait subitement, serré dans son paletot comme dans un uniforme ; plus loin, Pichtchalkin secouait gravement sa tête bien intentionnée et bien peignée ; là-bas, Bindasof vociférait, jurait ; et ici, Bambaéf était hors de lui et tout en larmes… Par-dessus tout, cette odeur continuelle, impossible à chasser, douce, accablante, ne lui laissant aucun repos, semblait doubler par l’obscurité et lui rappeler de plus en plus quelque chose qu’il ne parvenait pas à retrouver… Il se souvint que l’odeur des fleurs est malsaine dans une chambre à coucher ; il se leva, saisit à tâtons le bouquet et le plaça dans une chambre voisine ; mais de là encore la fatigante odeur atteignait son oreiller en se glissant sous les draps dont il avait enveloppé sa tête, et il ne faisait que changer de côté avec angoisse. Il commençait à être en proie à la fièvre ; déjà le prêtre, « connu par ses remèdes contre le mauvais sort, » lui avait deux fois barré le passage sous la forme d’un lièvre avec une longue barbe et une petite queue, et, perché sur un colossal panache de général, comme sur un arbre, Vorochilof, transformé en rossignol, commençait à filer des sons… lorsque, se dressant sur son lit et se frappant les mains, il s’écria : « Serait-ce elle ? Cela n’est pas possible ! »

Mais pour expliquer cette exclamation de Litvinof, nous sommes obligés de prier le lecteur de vouloir bien retourner avec nous quelques années en arrière.