Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/74

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nous avons à nous occuper se composait du mari, de la femme et de cinq enfants. Elle végétait non loin de la place des Chiens, dans une maisonnette en bois à un étage, avec un perron sur la rue peint de deux couleurs, avec des lions verts au-dessus de la porte et d’autres fantaisies de gentilhomme ; mais c’est à grand’peine qu’elle liait les deux bouts de l’année, prenant à crédit chez l’épicier, se passant souvent l’hiver de bois et de chandelle. Le prince était d’un caractère mou et borné ; autrefois, dans sa jeunesse, il avait passé pour un dandy, un élégant ; à présent il était complètement affaissé ; moins par considération pour son nom que par égard pour sa femme, ex-demoiselle d’honneur, on l’avait doté d’une sinécure ; il ne se mêlait d’ailleurs de rien et tuait le temps, en robe de chambre, à fumer en poussant des soupirs. La princesse était une femme malade, chagrine, exclusivement occupée des détails du ménage, du placement de ses enfants dans des établissements de l’État et de la conservation de ses relations pétersbourgeoises ; jamais elle n’avait pu se résigner à sa position et à son éloignement de la cour. Le père de Litvinof avait fait la connaissance des Osinine quand il habitait Moscou ; il fut à même de leur rendre quelques services, il leur prêta une fois trois cents roubles ; le fils, étant étudiant, les visitait souvent ; il logeait précisément fort près de leur maison ; ce n’est pourtant pas ce voisinage qui l’attirait, et c’est encore moins le peu de confortable de leur vie qui avait