Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/96

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garantir d’un coup. Il prit enfin courage et déchira l’enveloppe. Une petite feuille de papier à lettre contenait ce qui suit :

« Pardonnez-moi, Grégoire Mikhailovitch. Tout est fini entre nous ; je vais à Pétersbourg. Je suis accablée, mais la chose est décidée. Sans doute, telle était ma destinée… Mais je ne veux pas me justifier. Mes pressentiments se sont réalisés. Pardonnez-moi, oubliez-moi, je ne suis pas digne de vous.

Irène

« Soyez généreux ; ne cherchez pas à me voir. »

Litvinof lut ces lignes et glissa sur son divan, comme si une main invisible l’y avait poussé. Il laissa échapper le billet, le releva, le relut, marmotta : « À Pétersbourg » et le laissa de nouveau tomber. Un calme étrange s’empara de lui : il releva lentement les mains pour arranger les coussins derrière sa tête. « Ceux qui sont blessés à mort ne s’agitent plus, pensa-t-il ; comme c’est venu, ça s’est envolé… c’est fort naturel ; je m’y attendais… (Il mentait, jamais il n’avait prévu rien de pareil.) Elle a pleuré ! Pourquoi a-t-elle donc pleuré ? Elle ne m’aimait pas ! Tout cela d’ailleurs s’explique et s’accorde avec son caractère. Elle n’est pas digne de moi… c’est bien cela ! » Il sourit amèrement. « Elle ignorait sa valeur ; après s’en être aperçue au bal, comment pourrait-elle songer encore à un misérable étudiant ?… tout cela est compréhensible. »

Mais ici il se souvint de ses tendres propos, de ses sourires, de ses yeux, de ses yeux qu’on ne pouvait