Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/97

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oublier, qu’il ne verrait plus jamais, qui étincelaient et s’épanouissaient en rencontrant les siens ; il se souvint encore du seul baiser furtif qu’il avait reçu, et il éclata en sanglots convulsifs, égarés, furieux ; il se retourna et, suffoquant, se cognant la tête avec un plaisir farouche, avide de se détruire soi-même comme tout ce qui l’entourait, il enfonça son visage enflammé dans le coussin du divan et le mordit…

Le monsieur que Litvinof avait vu la veille en coupé était précisément le parent de la princesse Osinine, le richard et le chambellan, comte Reuzenbach. Frappé de l’impression qu’Irène avait produite en haut lieu, saisissant d’un coup d’œil les avantages qu’il pourrait en retirer, le comte, en homme énergique et sachant faire sa cour, dressa sans perdre de temps ses batteries. Il se décida à agir rapidement, à la Napoléon. « Je prendrai chez moi, se dit-il, cette singulière jeune fille ; je la constituerai, quand le diable y serait, mon héritière, au moins d’une partie de mes biens ; je n’ai pas d’enfant, elle est ma nièce, et la comtesse s’ennuie d’être seule… C’est toujours agréable d’avoir au salon un gentil visage… oui, oui, c’est cela : « Es ist eine Idee, es ist eine Idee ! » Il fallait éblouir, séduire les parents. « Ils n’ont pas de quoi manger, continua le comte, déjà assis dans sa voiture et se dirigeant vers la place des Chiens, pas de danger qu’ils s’entêtent. Ils ne sont pas déjà si sensibles. Et puis, s’il le faut, on peut donner une somme d’argent. Et elle ?… Elle consentira. Le miel est doux… elle en a goûté hier. Supposons que ce