Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/190

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et les matelots les chargent sur leur col comme des ballots de marchandises. Quand on les a mises à terre, les esclaves les débalent, et les eunuques ne cessent de crier et de menacer, à quelque distance que l’on soit d’eux fust-ce à plus d’un mille. Les valets de pied du Pacha fuyoient pour lors dans les bois, et bien loin de servir ces Dames, ils les auroient laissé noyer plutost que de tourner la teste de leur costé.

De peur que nous n’ignorassions cette loüable coûtume, le Lieutenant du Pacha nous en instruisit dés la premiere visite. Comme vous venez de bien loin, j’ai à vous avertir, me dit-il, de certaines choses qu’il faut absolument sçavoir parmi nous. De vous éloigner toujours du quartier des femmes autant que vous le pourrez ; de n’aller pas vous promener sur des hauteurs d’où l’on puisse découvrir leurs tentes ; de ne faire aucun dégât dans les terres semées, en cherchant des plantes ; et sur tout de ne point donner de vin aux gens du Pacha. Nous le remerciâmes tres-humblement de ses bontez. Pour les Dames nous n’y pensions pas certainement, l’amour des plantes nous occupoit entiérement. A l’égard du vin, les valets de pied du Pacha venoient la nuit avec tant d’empressement que nous ne pouvions pas quelquefois leur en refuser, ce qui fit que je priai l’Intendant de leur deffendre absolument d’avoir commerce avec nous.

Cet Intendant nous parut fort honnête et aimé dans la maison de son Maître, quoiqu’il ne fût pas de son choix, car le Grand Visir pour voir jusques dans le fond de l’ame des Pachas, et pour être informé de tout ce qui se passe chez eux, leur donne ordinairement ces sortes d’Officiers. Celui dont nous parlons nous assûra qu’on se retireroit tous les soirs vers le Quindi, quelque temps qu’il fist ; Que le Pacha prendroit quelques jours de repos sur sa route ;