« J’ai votre affaire, s’écria Charavay en les apercevant, une lettre superbe de Benjamin Constant, quatre pages pleines sur la Philosophie de l’Histoire.
— Peuh ! la Philosophie de l’Histoire, dit Edmond d’un ton d’indifférence.
— Nous aimerions mieux autre chose, ajouta Jules.
— Une lettre de Berthier alors, reprit Charavay, tout en renseignements sur la bataille de, de…
— Oh ! les renseignements ! dit Jules.
— Cela n’apprend rien, dit Edmond.
— Diable ! vous m’embarrassez, dit le marchand en se grattant le front, c’est qu’il ne reste plus qu’un billet sans importance de Brunet.
— De Brunet ! bravo.
— Brunet est le seul qui jette quelque lueur sur les mœurs de l’époque, ajouta Jules de Goncourt.
— À qui est adressé ce billet ? demanda Edmond.
— À son camarade Tiercelin, répondit le marchand.
— Très bien ! Tiercelin, c’est le peuple. Voyons le billet.
Ils lurent :
« Vieille brute, c’est demain que je t’attends au Bœuf montagnard, à six heures de relevée ; j’ai obtenu de Duval qu’on ne commencerait Jocrisse qu’à neuf heures, amène Élomire et la petite Cuissot, on festoiera,
« Tout à toi. »— Ah ! le joli autographe ! s’écria Jules de Goncourt extasié.
— Et comme il est mal conservé ! dit Edmond.
— À combien le billet de Brunet ? demandèrent-ils.
— Ah ! mon Dieu, pas cher, répondit Charavay, un franc soixante-quinze centimes.
— Les voici, firent-ils en chœur.
M. Charavay empocha froidement cette monnaie et leur dit : Vous ne vous arrangez donc pas du Benjamin Constant ?
— Non.
— Ni du Berthier ?
— À quoi bon ?
— Ce sont d’utiles documents pour une Histoire de la Société française sous l’Empire, objecta-t-il.