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les brochures et les plaquettes allèrent s’empiler provisoirement sur ces mêmes rayons transportés au grenier, non pas celui que les visiteurs actuels ont connu, mais un réel et vulgaire grenier éclairé de fenêtres à tabatière. En écrivant ceci je me rappelle ma première visite au nouveau logis ; il me semble que je revois et que j’entends Jules, le chapeau de paille crânement incliné sur l’oreille, le monocle à l’œil, tout pimpant de la joie du propriétaire qui s’installe, criant à son frère : « Edmond passe-moi les Femmes », (c’est-à-dire une série de volumes écrits au siècle dernier par elles ou en leur honneur).

Joie bien courte, promptement suivie de désillusions, de défaillances physiques et de la lente agonie décrite dix ans auparavant par les auteurs des Hommes de Lettres, comme si le plus jeune des deux écrivains se fût penché sur quelque mystérieux miroir et y eût eu la vision de son propre destin.

Le lendemain des obsèques de Jules, si différentes à tant d’égards de celles que nous avons vues récemment en cette même église d’Auteuil, Edmond quittait « la maison charmante et maudite », avec l’intention de n’y plus remettre les pieds et de s’en défaire. Peu après, cependant, sa douleur même le ramenait à ces chambres vides, à ce jardin où le mourant avait passé de si longues heures, assis contre un tronc d’arbre, le chapeau sur les yeux et plongé dans un mutisme farouche, ou tournant avec la lassitude et l’ennui des fauves autour d’une table de fer ; à ces collections qui représentaient, comme ils l’avaient écrit, pensant certainement à eux-mêmes, « l’occupation, la privation et la joie de toute une vie ». Uniquement absorbé alors par le culte de cette chère mémoire, il voulait réunir en une plaquette destinée aux seuls amis les articles nécrologiques consacrés à son frère et demander à Maxime Lalanne une vue du jardin qu’il pensait abandonner sans retour quand la guerre